Compte-rendu de la rencontre du 23 mai 2018

L’EXPÉRIENCE PORTUGAISE : UNE INSPIRATION POUR LA GAUCHE ?

Rencontre du 23 mai 2018 | FGTB – Place Saint-Paul
Invité  Bruno TEIXEIRA, Secrétaire Exécutif de l’UGT au Portugal

Le mercredi 23 mai dernier, Notre Gauche accueillait un témoin exceptionnel de la situation politique au Portugal.

C’est devant une salle comble que Bruno Teixeira, Secrétaire exécutif de l’UGT (Union générale des travailleurs), a mis en discussion les réalisations et les possibles du gouvernement de gauche en place depuis 2015, nous aidant à mieux encore déterminer les convergences de gauche possibles chez nous.

Nous rapportons ci-après les informations recueillies sur la situation portugaise en regard de questions soulevées lors des 11 rencontres organisées par Notre Gauche depuis le lancement de notre appel.

Quels étaient les objectifs prioritaires du Gouvernement de Gauche ?

Au Portugal, depuis octobre 2015, le PS, le PC et le «bloco de esquerda» (ou Bloc de gauche) se sont unis contre les politiques d’austérité. C’est un accord politique original qui permet au pays de fonctionner, puisque le PS, minoritaire, gouverne seul, les deux autres partis plus radicaux ayant accepté de le soutenir au Parlement tout en refusant d’entrer au gouvernement.
L’action prioritaire du gouvernement portugais a été axée sur l’arrêt des politiques d’austérité, celles-là mêmes qui seraient censées être la panacée et qui sont répandues dans tous les pays européens.

Ainsi plusieurs objectifs précis ont été ciblés et sont poursuivis d’arrache-pied :
– rétablir une politique de revenus décents ;
– revoir à la hausse les allocations sociales ;
– arrêter et empêcher la dérégulation du marché du travail ;
– augmenter le volume de l’emploi ;
– mener une politique qui diminue la fiscalité imposée sur les revenus du travail.

Le tout premier budget voté par le Parlement portugais a concrétisé cette diminution de la taxation du travail et l’augmentation des allocations sociales.
Et ainsi, depuis l’investiture de ce gouvernement, le Portugal a connu trois années budgétaires qui réalisent les priorités annoncées.

On constate que le Portugal connaît une importante création d’emplois : 350.000 emplois ont été créés. On doit remarquer qu’une majorité le sont dans les secteurs privés. Parmi ceux-ci, les emplois créés dans le secteur du tourisme occupent une place importante. Ceci dénote le développement d’un secteur fragile, offrant des contrats à durée déterminée, saisonniers et relativement mouvants.

Il faut quand même bien remarquer que grâce à la politique actuellement menée au Portugal, la croissance économique est aussi au rendez-vous et que le Portugal ne connaît pas les déroutes annoncées par les chantres de l’austérité !

Un exemple d’avancée significative réalisée par ce gouvernement socialiste soutenu par les partis de gauche a retenu l’attention. On applique désormais le régime des 35 heures de travail par semaine dans le secteur public sauf pour les contractuels. Si le Parti communiste a proposé en mai 2018 une loi étendant ce régime de 35 heures à tous les secteurs, ce projet n’a pas obtenu de majorité au Parlement, le PS préférant la voie de la négociation et de la concertation sociale avec les entreprises pour y parvenir.

Comment les forces de gauche se sont–elles unies pour permettre la formation et le soutien d’un gouvernement qui mène une politique de gauche ?

Bruno TEIXEIRA a d’emblée rappelé que la vie politique du Portugal se développe dans une jeune démocratie tant il est vrai que la Révolution des Œillets et la sortie du régime de Salazar ne datent que de 44 ans (25 avril 1974).

Le poids de l’histoire des relations entre les mouvements et organisations des gauches pèse encore lourdement sur la politique portugaise et notamment le clash historique entre le parti socialiste et le parti communiste survenu après la révolution. Pour Bruno Teixeira, la création du « Bloc de Gauche » à la fin des années 90 et ses résultats électoraux ont modifié la configuration des rapports de force entre les mouvements traditionnels de gauche ainsi que leurs représentants issus de la résistance au salazarisme. Cette nouvelle situation a engendré de nouveaux modes de relation et surtout leur amélioration.

A la suite des élections de 2014, les partis de gauche décident de soutenir le gouvernement minoritaire socialiste et de lui permettre de développer un programme politique négocié entre eux. Chacun supporte les propositions qui ont fait l’objet du programme négocié et chacun garde ses prérogatives parlementaires notamment pour avancer des propositions en dehors de cet accord.

Les prochaines élections parlementaires du Portugal auront lieu en 2019 et pour Bruno Teixeira, le succès de la gauche ne sera pas mis en cause. La question qui prévaut aujourd’hui est de savoir si, à cette occasion, le PS portugais aura ou non la majorité.

Par ailleurs, l’action des syndicats, essentiellement l’UGT et la CGTP fait pression sur les propositions du gouvernement et des partis qui le soutiennent. Par ailleurs, les syndicats en tant qu’organisations interviennent peu directement dans l’action du pouvoir exécutif.

Une Europe sociale serait-elle possible si d’autres pays suivaient l’exemple portugais ?

Dans le débat mené à l’occasion de cette rencontre, les interventions des participants renvoient aux questionnements suscités par l’appel de Notre Gauche et par les rencontres qui ont été organisées, notamment à propos de la gauche européenne, l’Europe sociale et démocratique.

Disons-le d’emblée, la solidarité à l’échelle européenne doit poursuivre inlassablement sa construction. Le Portugal n’apparait pas aujourd’hui en capacité de mener des grands combats au sein de l’Europe, notamment en vue de la construction d’une véritable Europe sociale. Il est trop préoccupé de la situation nationale et des forces à investir dans cette réalité-là. Citons par exemple, la reconstruction d’une politique économique soucieuse des travailleurs, la création d’emplois.

Interrogé sur le rôle que « le Portugal de gauche » peut jouer dans l’Europe, par rapport au rassemblement des gauches, notre interlocuteur ne voit pas qu’il puisse jouer un rôle phare volontaire.

Dans le cadre de sa politique financière, le gouvernement portugais a dû s’engager auprès du FMI à ne pas porter atteinte au paiement des intérêts de la dette du Portugal. Aujourd’hui, cette dette équivaut à 130% du PIB du Portugal. A noter cependant qu’elle est en diminution. Personne ne veut la ramener au niveau de 60% du PIB comme le souhaitent par exemple la France ou l’Allemagne (qui connaissent aussi des taux de dette publique plus élevés que ces 60%). Pour apporter une image comparative, le montant des intérêts de la dette publique portugaise équivaut au budget du Ministère de la Santé publique.

Le Portugal craint les conséquences du BREXIT qui pourra entrainer la diminution des aides européennes et notamment des fonds structurels. En effet, les investissements publics ont beaucoup souffert sous les gouvernements de droite et il importe de réinvestir par ce biais.

Quelles politiques sont menées actuellement ?

La lutte contre la précarité et la précarisation économiques des citoyennes et citoyens du Portugal est largement visée par l’augmentation des salaires, des pensions et des allocations sociales.
En matière d’emploi, le Gouvernement portugais a proposé de porter le niveau du salaire minimum de 480 euros à 600 euros (plus 25%). Les syndicats essayent d’obtenir un montant supérieur, soit 615 euros revendiqués par l’UGT et 650 euros par la CGTP.

On l’a vu, le gouvernement portugais a organisé le passage à 35 heures par semaine dans le secteur public, sans perte de salaire Il souhaite poursuivre cette diminution du temps de travail dans le secteur privé mais veut arriver par la concertation avec le patronat alors que le parti Communiste portugais souhaiterait l’imposer par la voie légale. Mais ce dernier n’y arrive pas faute de majorité parlementaire.

Le gouvernement travaille aussi à l’augmentation des emplois, on l’a vu plus haut.

La sécurité sociale, reste bien un instrument politique important. Récemment, le Ministre de la Santé a réaffirmé l’importance de la défense indéfectible d’un service public de la santé et du niveau des moyens qui lui sont affectés.

L’enseignement public et l’accès à l’enseignement pour toute la population ne semblent pas poser trop de problèmes car l’école publique jouit d’une bonne réputation et ne subit pas trop les attaques liées à la privatisation du système scolaire. Il faut aussi noter que les socialistes y avaient largement investi en 2005.

Au sujet des droits des femmes et de l’égalité entre les genres, il est apparu que si certains droits fondamentaux comme celui de la liberté d’avorter existent bien au Portugal depuis 2006, la suppression des différences que l’on rencontre – malheureusement aussi dans les autres pays européens – ne constitue pas un objectif à atteindre prioritairement. Cela nous a été présenté comme une priorité de pays riches, position que Notre Gauche ne partage pas !

Conclusion

Bruno Teixeira nous pose à son tour une question : serons-nous capables de travailler à notre tour à la convergence des gauches pour rejoindre le Portugal dans son combat contre les politiques d’austérité ?

En tout cas, cette rencontre et l’analyse de l’expérience portugaise nous permettent, comme nous l’exprimions lors du lancement de l’appel de Notre Gauche, en avril 2016, de ne pas nous « laisser emporter par les sirènes du fatalisme face aux défis qui se posent à la gauche aujourd’hui » et de saisir tous les apports réels et concrets de l’expérience portugaise qui a su, comme nous l’écrivions pour nous-mêmes et notre région, mobiliser « les ressources utiles pour ancrer nos valeurs, peser sur le réel et fédérer la gauche ».