LA RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL, PREMIÈRE RUPTURE AVEC TINA ?
Rencontre du 18 février 2017 | Liège Arsenic2
Invités : Delphine HOUBA et Michel CERMAK
Claude Fafchamps (Arsenic2) accueille les participants en lisant un texte de Roland de Bodt, rédigé pour les dramaturgies du XXIe siècle, une réflexion sur le vivre ensemble :
Toute illusion nous aveugle
Tina
There is no alternative
Un monde sans alternative
est un monde sans choix
Un monde sans choix
est un monde sans liberté
Tina
There is no alternative
Un monde sans alternative
est un monde sans imagination
Un monde sans imagination
est un monde sans avenir
Tina
There is no alternative
Le symptôme d’une tyrannie aux abois
Ceux qui prétendent qu’il n’y a pas d’autre alternative
Tous ils nous abusent !
Changeons d’ère…
Jean-François Ramquet présente la séance en rappelant que la programmation portait sur les alternatives dont une en particulier : la Réduction Collective du Temps de Travail (RCTT). Suite à un contretemps, le volet critique du « there is no alternative » ne sera pas abordé comme prévu.
Le précédent débat avait conduit à des recherches de convergences : la RCTT en était ressortie. Delphine Houba et Michel Cermak vont présenter leur réflexion à ce sujet. Elle fait l’objet d’une publication : « Partageons le temps de travail »1
Delphine Houba: la semaine qui s’achève était semaine était une semaine de 4 jours. À l’échelle individuelle comme collective, on apprécie de retrouver du temps pour nous.
Pour s’engager, il faut du temps. Le livre a été écrit sur leur temps libre, donc bien loin du mythe qui dit que ceux qui veulent réduire le temps de travail sont des glandeurs. Le projet nait au sein du Collectif Roosevelt2 : collectif citoyen venu de France, il est implanté en Wallonie et à Bruxelles. Il postule un engagement sur15 solutions « pour sortir de la crise et changer de modèle ».
L’une des 15 propositions est la RCTT. Le mot collectif y est important. On parlera en termes de partage tout autant que de réduction. Le livre tente de fonder un argumentaire : en tant que citoyen, comment participer au débat. L’hypothèse a été d’aller à la rencontre de ceux qui le font déjà, de rencontrer des personnes qui vivent déjà la RCTT.
Michel Cermak propose un tour d’Europe : France, Allemagne, Suède, Belgique, autant de formules de la RCTT : 4 jours, journée de 6h, répartition du temps sur plusieurs semaines, etc. Les objectifs étaient variés : initiatives de travailleurs ou de patrons, sauvetage des emplois, création d’emplois. Tous partent de la perception que le chômage est un fléau et qu’il est possible de s’y attaquer : diminuer le stress au travail, apporter plus de bien-être, tout en renouant avec la productivité.
Ainsi, la RCTT existe ou a existé depuis des années dans des entreprises qui l’ont vécu positivement. (avant même le débat sur les 35h). Les exemples vont d’une entreprise de recyclage dans la Construction (YPREMA) à un garage Toyota en France, en passant par des aides-soignantes en Suède, la VRT, Auto 5 ou le Service d’Etudes de la Centrale Générale de la FGTB en Belgique et même une filiale d’Arcelor-Mittal en Allemagne.
En France, des expériences de 4 jours sans modification de salaire ont été tentée dès les années 90. La Loi de Robien (1996), moyennant un effort salarial demandé aux travailleurs, entrainait une réduction des cotisations sociales pendant 7 ans. Les négociations portaient notamment sur des diminutions de primes ou l’écrêtage de hauts salaires. L’amélioration des performances rapidement constatées permettait vite un retour au salaire initial.
En Suède la réduction à 6h du temps de travail des aides-soignantes, expérimenté à Göteborg, a permis le constat d’un mieux-être des travailleuses qui s’est traduit aussi par un impact positif pour les résidents d’une maison de repos.
Pour Auto 5 en Belgique, alors que des agences allaient fermer les travailleurs ont négocié plus de polyvalence et des heures d’ouvertures supplémentaires contre un passage à 36h semaines (ou 32/40). Des emplois ont été sauvés, la productivité augmentée. La flexibilité ainsi instaurée, la perspective d’ouverture de nouvelles agences est apparue.
A la VRT, cela a permis de sauvegarder l’emploi.
Le cas d’Arcelor est le moins porteur, car il s’agissait de sauver des emplois, mais dans de moins bonnes conditions.
Un des aspects du problème, c’est la difficulté de convaincre, parfois même les travailleurs. Ils doutent de la faisabilité. Un site www.dutravailpourtous.be est créé pour propager l’idée et permettre le recueil d’autres expériences.
Historiquement, le temps de travail va en décroissant3 :
- 1921 journée de 8h
- 1960 semaine de 5 j
- Sans perte de salaire, malgré les réticences du patronat et des partis conservateurs. On a tendance à l’oublier et on s’impose nous-même l’idée que c’est impossible.
Aucun cataclysme prédit sous prétexte de perte de compétitivité n’a eu lieu.
Débat
(Pour la facilité de lecture, les questions sont reprises ici de manière anonyme et les réponses redistribuées, alors que le débat regroupait les interventions par bloc de questions)
- Secteurs touchés par la robotisation : quid de la RCTT ? Sera-t-elle une résultante ?
- C’est un angle pour intéresser, par exemple, ceux qui s’y opposent mais se rendent compte de la réalité de la destruction du travail par la robotisation, alors que notre société est organisée autour du travail. Le livre donne des chiffres sur le nombre d’emplois que la mesure pourrait créer.
Passer à la semaine de 4 j ne ferait que rattraper le gain constant de la productivité. Après on pourra encore envisager l’avenir. Philippe Defeyt estime que la mesure permettrait de créer 300 000 emplois.
Cependant, la demande et l’offre de travail ne se rencontrent pas forcément. Il faudra un cadre général établi par l’Etat, mais assez souple pour permettre une adaptation à la carte.
Certaines études annoncent, quant-à-elles, une perte de 50 % des emplois perdus à terme, du fait de la robotisation. Cela exigera d’autres combats.
Il y a également une question d’égalité à surmonter : en Belgique on compte deux homme pour une femme en ETP, mais il y a actuellement quatre fois plus de femmes en temps partiel (donc, bien distinguer la réduction individuelle du temps de travail avec diminution du salaire de la Réduction collective avec salaire maintenu).
- Mettre l’accent sur le bien être : donc danger 9h par jour en 4 jour. La revendication doit reposer sur ce qu’elle va apporter aux travailleurs.
- Tous les exemples montrés ne sont pas exemplaires. Celui d’Arcelor, en Allemagne ne l’est pas, mais il faut les illustrer tous. Même entre nous, entre partis et syndicats, les modalités divergent.
- L’urgence est surtout de rassembler autour de l’idée. L’urgence aussi est de multiplier les expériences ponctuelles
- Pourquoi ne pas parler de partage du travail plutôt que de partage du temps ? Le travail est une ressource limitée, ce n’est pas tenable que tant de personnes n’aient pas accès au travail, ça devrait être un droit. Sinon on est des bobos, on doit accentuer le débat sur le partage de la ressource, sur le droit au travail.
- C’est justement l’argument des conservateurs, « le travail n’est pas un gâteau, il peut croitre avec la croissance etc. ». Dans la réalité on produit nettement plus mais avec le même nombre d’heures (celles-ci sont ont globalement peu évolué depuis 50 ans) et plus de travailleurs disponibles. La réalité c’est que le gâteau n’a pas bougé et qu’on doit le partager. Le partage régit par le marché, c’est insensé, on doit se le réapproprier. Il y a en Belgique 1 million de travailleur demandeurs d’emploi et 1 million de travailleurs en temps partiel subi.
Or, le débat est biaisé car il se fait souvent entre gens qui aiment leur travail ! Or, c’et plutôt rare, 80% des gens sont d’avis contraire.
- Travail = le mot pour racine latine un instrument de torture. Ne faut-il pas modifier notre relation au travail, exiger une meilleure redistribution des profits et accepter qu’on ne vas pas tous toujours travailler : qu’en est-il du débat de l’allocation universelle ?
- Il a été du livre à dessein. Les questions ne sont pas antagonistes mais choix est de les traiter séparément. On n’a donc pas interrogé des questions comme le niveau de montant décent ou le financement d’une telle mesure.
- Une intervenante rappelle que la représentante du Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté, reçue à la tribune de NotreGauche, a marqué son opposition, parce que la question n’est pas seulement financière : le travail permet de compter dans la société. Il crée le statut social et permet de ne pas en être exclu, même avec une allocation !
- Quid de la RCTT au sein d’une administration ? Dans le secteur public aussi des travailleurs sont pressés comme des citrons et travaillent beaucoup trop, parce qu’ils ont le sens du service public. Et à côté de ça, on remplace un agent sur 3. et on les remplace par des « couillonnades » de nouvelle gouvernance, d’objectifs NPM, des indicateurs,… soit les méthodes du privé qui constitue une dérive.
- C’est un enjeu fondamental de société. Qui se joue maintenant à enveloppe fermée, donc forcément vers le bas pour les travailleurs. La RCTT est une facette, elle n’est rien sans un refinancement des services publics, par exemple, et une justice fiscale ! Il y a cependant des initiatives, comme des possibilités de réduction du temps de travail en fin de carrière (Wallonie).
On devrait se pencher dans ce cas sur une réforme fiscale qui pourrait rapporter 25 milliards et qui se complèterait de la lutte contre l’évasion fiscale estimée à 30 milliards.
- Il faut convaincre les travailleurs en amenant de l’espoir (TINA), mais le win win, pas d’accord. Il faut être plus combatif pour mobiliser. Mais si c’est en échange de réduction des cotisations patronales, on perd une partie de notre salaire ! les entreprises font des bénéfices et ne devraient pas avoir besoin d’aide pour créer de l’emploi !
- C’est la question du modèle de financement. Et elle est liée au rapport de force. La stratégie peut-elle se faire en deux temps ? D’abord la RCTT via un modèle pour aller vers plein emploi et améliorer ainsi le rapport de force : moins de chômeurs crée de meilleures conditions de négociation pour obtenir un gain sur les salaires, ou si on veut, une part de richesse redistribuée qui redevient plus favorable aux travailleurs. !
- Il est intéressant de partir d’expériences concrètes : doit-on imposer ou doit-on susciter l’adhésion. ?
Quid du travail à domicile ? Quid de la volonté d’ouverture 7/7 ? Quid de l’épargne carrière : travailler beaucoup un temps puis récupérer après ? Quid de la flexibilité demandée ? Les jeunes recherchent parfois moins de contraintes. Est-ce une volonté de créer de manière libérée, de faire une nouvelle économie autrement ?
- Le travail à domicile ouvre un autre débat. en ce qui concerne les 7J/7, les exemples montrent souvent des services qui ouvrent le samedi matin ou des heures d’ouvertures journalières allongées. Les clients sont contents, les employeurs y trouvent leur bénéfice. Ce n’est pas négatif si le rapport de force est rééquilibré en faveur des travailleurs. Cela revient à la souplesse nécessaire pour l’adoption de mesures et dépend du secteur d’activités.
- En ce qui concerne les nouvelles formes de travail, un exemple est connu d’une start-up californienne qui pratique 5h par jour avec un constat de productivité au-dessus de la norme
- Comment avoir un combat collectif au niveau politique ? Faut-il revendiquer collectivement une règle qui viendrait d’en haut ?
- On peut penser à renforcer le dispositif existant en Belgique (Loi de 2000) et penser ensuite à généraliser. Il a été plus conséquent en France (Loi de Robien et 2 Lois Aubry).
- Le dernier rapport sur l’implantation « coercitive » des 35h en France tend à démontrer que la méthode a bien conduit à la création d’emplois.
- La mesure a eu mauvaise presse mais se révèle la plus efficiente des politiques d’emploi ! 350 000 emplois ont été créés et cela se révèle le système le moins coûteux pour le faire. On considère que cela a coûté 12 000 € par emploi, bien moins que les mesures Hollande ou Michel (tax-shift sans compensation) qui ne garantissent aucune contrepartie.
- Ne doit-on pas parler d’emploi plutôt que de travail ? Tout le monde travaille et ce n’est pas seulement dans le cadre d’un contrat. On ramène le socle de réflexion sur l’économico-politique en parlant d’emploi. Cela vicie la notion de travail.
- Effectivement, le choix des notions doit évoluer. On parle sans doute d’emploi et on peut réserver la notion de travail à une réflexion plus large.
- La RCTT produit-elle une relance de la consommation ?
- La création d’emplois crée plus de pouvoir d’achat. A priori, la mesure est favorable à la consommation.
- Est-ce que la règle veut que la réduction de 20 % du temps de travail conduit à produire la même chose que 80 % du temps.
- Non, car c’est surtout l’embauche compensatoire améliore la productivité de l’entreprise. Et les travailleurs sont généralement plus présents et motivés, donc on améliore la performance globale.
- Les chiffres cités depuis le début du XXe siècle méconnaissent le fait que les travailleurs étaient largement « accrochés » à leur lieu de travail (cela vaut pour les corons miniers, pour les agriculteurs, pour les industries). Le développement du tertiaire a contribué au déracinement, au phénomène des navettes. Un travailleur peut être absent de chez lui, dans d’autres conditions bien sûr, douze heures, tout autant qu’un ouvrier du début du siècle passé. Ne devrait-on pas réfléchir au temps, en partant du seuil de son logis ?
- Cette question n’a pas été traitée, mais le mériterait sans doute. Le livre et le site sont des supports pour faire avancer la discussion.
1 Partageons le Temps de travail, Entre chômage et burn-out : mode d’emploi pour la semaine de 4 jours en Bruxelles, Couleur Livres, 2017, collectif Roosevelt. Les bénéfices de la vente du livre vont au collectif.
2 www.rooseveltbe.org et https://collectif-roosevelt.fr/ Une contribution de l’hebdomadaire POUR est aussi citée en référence.
3 Sur ce sujet, cf. Le temps de travail en Belgique depuis la fin de la Première Guerre mondial (1918-2016), Lionel Vanvelthem, site IHOES.