DÉBAT AVEC MURIEL GERKENS, FRÉDÉRIC DAERDEN ET RAOUL HEDEBOUW
Rencontre du 18 février 2017 | Cité Miroir Liège
Invités : Muriel Gerkens (Ecolo), Frédéric Daerden (PS) et Raoul Hedebouw (PTB)
Ce samedi 18 février, le ciel radieux n’empêche le public de se presser en masse dans la Salle des Lumières de la Cité Miroir pour entendre Muriel Gerkens (Ecolo), Frédéric Daerden (PS) et Raoul Hedebouw (PTB), invités par Notre Gauche à débattre pour identifier des convergences entre les programmes qu’ils défendent. Un événement politique qui démarre avec quelques minutes de retard parce qu’il faut ajouter puis ajouter encore des chaises.
Qui peut porter des valeurs contrant les tendances lourdes qui les citoyens subissent aujourd’hui ? Le monde associatif, les mouvements citoyens, les organisations syndicales : les premières rencontres de Notre Gauche l’ont montré, au travers de différentes thématiques et d’intervenants convaincus. Quant aux partis politiques de gauche, sont-ils à même de dépasser leur propension à stigmatiser les oppositions pour se rallier à quelques principes fondamentaux unificateurs ? Trois thèmes – l’Europe, l’exercice de la solidarité et l’économie au service de la justice sociale – sont soumis à leur représentants pour en rendre compte.
3 questions de Notre Gauche aux représentants des 3 partis invités
1. L’Europe est une Europe d’austérité et de normes, dont la remise en cause est le cheval de bataille des partis populistes. Peut-on inverser les paradigmes pour édifier une Europe sociale et solidaire ?
2. L’exercice de la solidarité dans notre pays est mis à mal par le Gouvernement. Le financement de la sécurité sociale est cadenassé. Le nombre d’exclus du système croît. Le budget des soins de santé est raboté. Comment développer à nouveau une politique sociale ? Par exemple, l’individualisation des droits ou l’allocation universelle sont-elles de bonnes réponses ? 3. Comment remettre l’économie au service d’une plus grande justice sociale ? Quelles modalités d’organisation des entreprises mettre en œuvre pour qu’elles retrouvent une dimension humaine ? Quid du développement endogène ?
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Notre Gauche : L’Europe est une Europe d’austérité et de normes, dont la remise en cause est le cheval de bataille des partis populistes. Peut-on inverser les paradigmes pour édifier une Europe sociale et solidaire ?
Frédéric Daerden : Notre avenir en tant que Wallons passe par l’Europe. Cependant, au sein du PE comme de l’UE, la droite majoritaire nous offre une marge de manœuvre limitée par rapport à la politique d’austérité qui est pratiquée. Les politiques fiscales et bancaires sont à revoir fondamentalement. Il faut repenser l’UE en termes d’harmonisation sociale (minima sociaux, mesures anti-dumping) et, pour ce faire, il faut que les mouvements citoyens de gauche et les syndicats se fédèrent. Il faut aussi, selon moi, réfléchir en termes de protectionnisme intra-européen.
Muriel Gerkens : Le problème est que la politique européenne met à mal les politiques de solidarité nationales et que les décisions s’y prennent sans réel contrôle des Etats concernés. Donc, oui à une Europe sociale, fiscalement harmonisée mais aussi à une Europe des Droits de l’Homme : dans certains pays de l’UE, les droits fondamentaux des femmes, des homosexuels, etc. sont directement menacés. Enfin, l’UE se comporte comme une forteresse et se montre incapable de décider d’une politique d’accueil des immigrés. C’est dire qu’il y a beaucoup de boulot.
Raoul Hedebouw : L’Europe n’est pas l’instrument des citoyens mais celui des lobbies. Elle favorise la mise en concurrence des travailleurs. Les Etats souverains qui s’opposent aux traités et à la politique d’austérité y sont pénalisés. On le voit, encore actuellement, avec la Grèce. Seule une victoire de la gauche permettra de sortir de ce cadre qui ne fonctionne que sur la logique du marché et de rompre avec ce que l’UE représente aujourd’hui. Il faudra tout reconstruire sur la base d’autres principes, ancrés dans les réalités sociales.
- G. : L’exercice de la solidarité dans notre pays est mis à mal par le Gouvernement. Le financement de la sécurité sociale est cadenassé. Le nombre d’exclus du système croît. Le budget des soins de santé est raboté. Comment développer à nouveau une politique sociale ? Par exemple, l’individualisation des droits ou l’allocation universelle sont-elles de bonnes réponses ?
- G. : Les bénéfices des luttes sociales acquis au terme d’un long combat sont démontés, les uns après les autres, par le Gouvernement actuel. Financer la Sécu, non pas en fonction d’une enveloppe fermée mais bien en fonction des besoins est, pour nous, une priorité absolue. La totalité des revenus doit participer à ce système de solidarité. Aujourd’hui, alors que la part des revenus diminue dans le financement de la sécurité sociale, les travailleurs en perdent le contrôle. C’est inacceptable.
Pour nous, les soins de santé doivent s’organiser sur une base territoriale, incluant tous les acteurs. Cela exige un maillage sans failles. Aujourd’hui on veut faire du citoyen un acteur de sa santé mais on lui refuse les outils pour ce faire. L’allocation universelle fait, au sein d’Ecolo, l’objet d’un débat qui n’est pas clos.
- H. : A la notion de cotisation sociale, l’usage courant préfère aujourd’hui celle de charges patronales. C’est très révélateur du fait que la Sécu est mise sous la tutelle des politiques de droite. Le définancement de la sécurité sociale s’inscrit aussi dans un contexte d’une dérégulation du travail organisée à l’échelon européen. Sous le prétexte de la compétitivité, on instaure une concurrence entre travailleurs allemands, français, belges, etc. L’opposition a réussi à faire remplacer charges par cotisations dans la loi Peeters. Plus important, elle parle d’une seule voix sur ce thème : il faut redresser le rapport de force travailleurs/capital pour augmenter les revenus de la Sécu. Pour le PTB, le débat sur l’allocation universelle est un faux débat dans une Europe de la récession.
- D. : Le budget de la Sécurité sociale, c’est 100 milliards d’euros par an, soit 1/4 du PIB. Ce sont les travailleurs qui ont construit ce système : il leur appartient. Ce que veut le gouvernement actuel, c’est que chacun finance ses soins et épargne pour sa pension. Cela veut dire que les moins riches seront exclus de ces droits-là. Si les cotisations sociales diminuent, le financement du système, qui est à la base d’un principe inviolable de solidarité, doit pouvoir reposer sur d’autres sources : impôt sur la fortune, taxe sur les transactions financières et les plus-values.
- G. : Comment remettre l’économie au service d’une plus grande justice sociale ? Quelles modalités d’organisation des entreprises mettre en œuvre pour qu’elles retrouvent une dimension humaine ? Quid du développement endogène ?
- H. : La réduction du temps de travail (RTT) est un thème fédérateur pour la gauche. Le combat est de l’ordre de celui qui s’est mené pour conquérir la journée de 8 heures. Actuellement, le travail à temps réduit rime avec hyperflexibilité, précarité et salaire de misère. La productivité a augmenté mais les travailleurs ne voient pas la couleur des profits engendrés de ce fait. Les revenus de l’augmentation de la productivité doivent être réinvestis dans une meilleure distribution du travail disponible. Un travail correctement rémunéré pour tous, c’est un combat. La RTT sera aussi est aussi une façon de permettre au citoyen de retrouver du temps pour se réinvestir dans les champs social, culturel, politique, etc. La démocratie s’arrête là où commence l’entreprise. La mise en œuvre de vraies règles démocratiques en entreprise est une priorité.
- D. : Il est important que les valeurs de la gauche s’expriment à tous les niveaux de pouvoir. C’est la seule option que nous ayons pour défendre les services publics et envisager une annulation des dettes publiques. Sur la réduction du temps de travail, évidemment, c’est oui. Chacun doit avoir accès au travail, là où les technologies nouvelles bouleversent la donne traditionnelle. Redistribuer le travail disponible est une priorité pour nous, dans la mesure aussi où la masse revenus qui va s’accroître de ce fait permettra de réalimenter les budgets de la sécurité sociale. Il y a beaucoup d’autres choses à faire pour restaurer la justice sociale : permettre une meilleure transition vers la pension, favoriser une réelle égalité homme/femmes, etc. Pour la protection des travailleurs, il faut souligner l’importance des organisations syndicales qui doivent être présentes également dans les PME et les mesures collectives. La base à défendre en priorité est le respect du principe du dialogue mais il y a une réflexion à mener ensemble sur des modèles de gestion plus innovants.
- G. : Il y a 15 ans, la notion de RTT était mal perçue même au sein des syndicats. C’est bien de voir qu’elle percole et se répand. En termes de développement économique, il faut réfléchir à l’exploitation de nos ressources locales. L’économie de proximité a du sens, elle est partagée, mieux contrôlée. Les citoyens et les travailleurs peuvent se réapproprier ainsi des filières entières de l’alimentation, du logement, de la culture mais aussi de la production de biens. C’est une dynamique d’entrepreneuriat à finalité sociétale que la gauche peut soutenir, voire mettre en place et développer. On voit progressivement apparaître des modèles d’entreprise où la gouvernance est mieux partagée et il faut les favoriser. Ecolo-Groen a déposé une proposition de loi favorisant l’économie solidaire sur les sociétés à gestion participative. Le travailleur doit ressentir une valorisation dans son travail. Cela repose sur des règles de bonne gouvernance.
Questions du public
1. Comment mettre en œuvre ces convergences ?
2. Politiques et argent, dévalorisation du politique, politiques mal payés ? 3. Politiques sociales et politiques d’activation débouchant sur des exclusions 4. Education, enseignement, formation : inadéquation par rapport au marché de l’emploi 5. La construction de logements sociaux : un thème sur lequel la gauche peut se mobiliser au niveau local ? 6. Fiscalité : un combat commun ? |
- : Comment mettre en œuvre ces convergences ?
- H.: Aujourd’hui, l’argumentaire électoral qui domine est de droite (réfugiés, sécurité, …). Le discours prône, partout, l’individu au détriment du collectif. Le sentiment de découragement est présent chez les citoyens, après les combats sans résultats de ces derniers mois. Les outils et thèmes de lutte sont mis au placard. Il y a donc une culture à recréer. Reconstruire une culture de lutte prendra du temps. Cela ne concerne pas que les politiques : les syndicats, le monde associatif, etc. sont essentiels pour remettre à l’ordre du jour les valeurs de la gauche et recréer ce cadre favorable. Mais nous sommes beaucoup plus forts que nous le croyons et ils sont beaucoup plus faibles qu’ils le pensent.
- D.: La convergence de gauche existe déjà au parlement et dans la rue. Rappelons, par exemple, la fermeté des Wallons sur le CETA. Dénoncer ne suffit pas. La gauche doit formuler des propositions et viser le pouvoir. Se fixer des objectifs précis, c’est par exemple se battre sur la réduction du temps de travail et sur l’impôt (impôt progressif, impôt sur la fortune, taxation des capitaux mobiliers et immobiliers).
- G.: Les partis de gauche ont intérêt à se liguer et à mener ensemble des combats et projets communs et ce, à tous les échelons de pouvoir. Il faut reprendre l’initiative et proposer en commun des projets à la population.
- : Politiques et argent, dévalorisation du politique, politiques mal payés ?
- D.: Le parlement doit représenter la société dans toute sa diversité. Il n’y a pas de « métier » politique mais des élus. La dévalorisation du politique à laquelle on assiste est un danger pour la démocratie.
- H.: Je connais des boulots beaucoup plus chiant que celui de député. Nous n’avons pas à nous plaindre de nos revenus. Les élus du PTB reversent une partie de leur rémunération à leur parti. Le débat sur l’argent traverse toute la politique.
M.G. : Les mêmes droits doivent être appliqués à tous et le parlementaire sortant devrait jouir des droits lui permettant de se réinscrire sur le marché de l’emploi, ce qui n’est pas le cas pour l’instant, après plus de 8 ans de mandat. Les mandataires d’Ecolo reversent une partie de leur rémunération à leur parti.
- : Politiques sociales et politiques d’activation débouchant sur des exclusions
- G.: Chacun a droit à un revenu, à la dignité, à l’accès aux soins de santé. Une priorité est aussi la lutte contre le dumping social. La Belgique est à la traîne et a rejeté les clauses sociales et éthiques prévues par l’UE.
R.H. : Les allocations sociales doivent se situer au-dessus du niveau de pauvreté. Il faut cesser de stigmatiser et pourchasser les chômeurs dès le moment où il n’y a pas d’emploi.
- D. : Parmi les principes que les partis de gauche doivent défendre en commun, il y a l’individualisation des droits et le revenu de base garanti.
- : Education, enseignement, formation : inadéquation par rapport au marché de l’emploi
- H.: Les bases transversales manquent à beaucoup de jeunes. Il faut revoir l’enseignement en ce sens, sur le modèle finlandais, pour que chacun dispose de bonnes bases avant d’être formé à des compétences spécialisées.
- D.: Un aspect important de la formation, c’est aussi l’information des jeunes dès leur plus jeune âge. Il faut citer à ce titre des initiatives comme les Cités des métiers et Cités de l’éducation. Au niveau européen, la « garantie jeunesse » permet au jeune de moins de 25 ans de ne pas sortir du circuit et de retrouver les conditions nécessaires à l’accès au marché de l’emploi.
- : La construction de logements sociaux : un thème sur lequel la gauche peut se mobiliser au niveau local ?
- D.: On assiste à détricotage de la politique de logement. Les communes sont confrontées au contexte d’austérité et ne peuvent se lancer dans des projets immobiliers par faute de moyens. Il faut sortir les investissements publics des normes budgétaires. Pour le droit au logement en général, les AIS sont des outils à développer pour mettre des logements privés à des prix accessibles à la disposition des demandeurs.
- H.: En l’absence de financement public, il faut trouver des sources de financement alternatives pour la rénovation ou la création des logements sociaux. Il faut aussi veiller à une adéquation entre le montant du loyer et le revenu.
- G.: Les AIS sont des outils à développer. Le logement est un secteur porteur, où il est possible de créer de l’emploi tout en favorisant des modes d’organisation de l’entreprise innovants et les nouvelles technologies en matière énergétique, notamment
P : Fiscalité : un combat commun ?
- D.: Globalisation des revenus, progressivité de l’impôt, taxation des richesses. C’est un combat difficile que la gauche peut porter si elle est unie.
- G.: Pour financer les politiques de lutte contre la pauvreté, de logement ou d’enseignement, il faut d’abord des recettes. La globalisation des revenus est à la base d’une politique publique et il y a des décisions à prendre quant au financement de l’Etat.
Réduction du temps de travail, taxation des richesses, économie de proximité, soutien aux politiques sociales, droits des travailleurs : les partis de la gauche sont sur la même longueur d’ondes. Et les propositions à formuler en commun ne manquent pas. Une forme de convergence des forces de gauche existe déjà, dans la rue comme au Parlement. Mais face à l’ampleur du combat à mener, la gauche devra prendre l’initiative de proposer des projets communs et relever le défi de l’unité à différents niveaux de pouvoir. Si la reconstruction du rapport de force est en marche, le chemin est encore long. Notre Gauche poursuivra dans sa lancée pour ancrer nos valeurs communes, peser sur le réel et fédérer la gauche.